La renaissance du Poly-Rythmo
Il renaît de ses cendres l’orchestre Poly-Rythmo. Quarante ans après sa création et à la suite d’une éclipse amorcée au tournant des années 80. L’orchestre démarre dans quelques jours une tournée européenne qui doit le conduire en France, en Hollande, en Belgique et en Allemagne.C’est inattendu. Un vrai miracle, de l’avis d’un mélomane qui se dit être fondé à conclure que Dieu ne dort pas. Mais le Poly-Rythmo aura beaucoup dormi depuis qu’il était sorti du cercle de lumière et de notoriété. Certains de ses membres s’étaient égaillés aux quatre vents. D’autres ne sont plus de ce monde. L’orchestre n’était plus que l’ombre de lui-même. Mais autour de ses quelques beaux restes, la légende, de temps en temps, se reconstituait. Un concert par-ci, une prestation en solo par-là.
Aux « anciens » la nostalgie des temps passés. Les plus jeunes regardaient avec curiosité ces pépés de musiciens : des dinosaures menacés de disparition au nom de l’implacable loi de la sélection naturelle. Personne ne donnait cher de la peau d’un groupe promis à mourir de sa plus belle mort. Après qu’il se fut imposé, faut-il le rappeler, dans les années de braise de la révolution (1970-1980), comme l’orchestre national du Bénin. Grandeur et décadence.
Pourquoi le Poly-Rythmo, malgré tout, a pu échapper à la mort ? Il aura plié comme le chêne de la fable, mais sans rompre. Parce que chacune des individualités de ce groupe mythique, de Clément Mélomè à Vincent Ahehehinnou, de Gustave Bentho à Pierre Loko était un virtuose, c’est-à-dire un artiste extrêmement doué dans son rôle et sur son instrument. Au moment où l’étoile du Poly-Rythmo brillait au firmament de la musique béninoise, le live était de rigueur, le play-back était alors inconnu. Le musicien devait connaître à fond son instrument. Il n’avait aucune possibilité de tricher. Il se livrait à son public tout nu et tout brut.
Le Poly-Rythmo était ainsi un bloc de vrais artistes musiciens, brillants qui plus est, féconds et créatifs de surcroît. Contrairement à ce qui est donné à vivre aujourd’hui, l’artiste se laissait aller à l’aventure du vide comme le fait un parachutiste. Seul son talent pouvait l’aider à atterrir en douceur. La technologie a peut-être, aujourd’hui, décuplé nos possibilités. Avec le synthétiseur qui offre une gamme étendue de sons musicaux. Avec l’ordinateur qui peut transformer le coassement du crapaud en une voix mélodieuse. Tout se passe comme si ce qui se gagne avec l’assistance de la machine était soustrait au talent, retranché du coefficient personnel de l’artiste musicien.
Et c’est parce que le talent ne prend ni retraite ni ride que nos pépés du Poly-Rythmo ont été jugés bons pour reprendre du service, bénéficiant d’un coup de pouce inattendu pour une nouvelle carrière. Si l’Europe doit en être la toute première étape, c’est le monde entier qui s’offre à nos compatriotes. Mais à quelles conditions les animateurs du Poly-Rythmo pourraient-ils relever le défi et tenir le pari d’aller, avec succès, à la conquête du vaste monde ?
La première exigence, pour le groupe, c’est de se convertir à la discipline d’une carrière internationale. C’est là une nouvelle expérience. Elle change du tout au tout par rapport à toutes celles faites par les uns et par les autres auparavant. On ne leur demande pas de reprendre la marche là où ils s’étaient arrêtés. On leur demande d’inventer une nouvelle marche pour négocier de nouvelles pistes. On leur demande de tuer le vieil homme qui sommeille en eux, pour renaître à une vie artistique nouvelle.
La deuxième exigence, c’est de se soumettre à un bilan de santé complet. Le show-biz international est, certes, valorisant, mais il ne reste pas moins éprouvant. Ceux qui payent en veulent pour leur argent, au nom d’un contrat de partenariat tacite. Chaque partie contractante se doit de tenir son rôle et de jouer sa partition à la loyale. Pour nos artistes musiciens, il faut que le corps réponde pour que le reste suive.
La troisième exigence, c’est de renouveler le répertoire du groupe. L’erreur serait de vivre sur le stock ancien de ses créations et de ses productions. A la cuvée ancienne du Poly-Rythmo devra donc répondre une nouvelle cuvée. Celle-ci devra tenir compte aussi bien des tendances nouvelles de la musique, aujourd’hui, dans le monde que des besoins et des attentes des divers publics à affronter et à séduire.
La quatrième exigence, c’est de maîtriser l’anglais pour être de plain-pied avec les réalités d’une carrière internationale. A l’image, par exemple de notre compatriote Angélique Kidjo ou des Sénégalais Youssou Ndour ou Baba Maal. La musique a beau être une langue et un langage universels, mais on ne demande ni sa route ni son dû en chantant ou en pinçant les cordes de sa guitare.
Auteur/Date : Jérôme Carlos, chroniqueur – La chronique du 17 juin 2009
Source : Site des chroniques de Jérôme Carlos